Le ciel dégagé et la température agréable de ce bel après-midi printanier, chaleureux et coloré, rendaient Syphogrante un peu moins amer à l’idée d’aller à l’assemblé hebdomadaire de Weltanschauung. Au cours des dernières semaines, certains individus plutôt arrogants, l’un ayant même présenté une attitude agressive à plusieurs reprises (probablement avaient-ils oublié la pertinence de l’exercice de la méditation), l’avaient poussé à se replier sur lui-même et éviter les interventions incisives.
Cependant, le dialogue, cet effort collectif qui peut être à l’origine de créations tout à fait incroyables, consiste en soi en un échange entre plusieurs partis. Mais ces échanges s’étaient transformés en un affrontement de monologue. Cet effort de domination des idées de l’un sur celles de l’autre, avait fait échouer du même fait la possibilité d’offrir à chacun l’occasion d’apprendre, de tirer les conclusions et d’ouvrir ses horizons.
Le fragile dialogue de Weltanschauung avait semblé, aux yeux de Syphogrante, se rompre peu à peu. Il avait vu les échanges de ces personnes se transformer, consciemment ou non, en monologues monolithiques, en une forme d’impérialisme idéologique agressif et agressant. L’inquisition d’individus ayant oublié la nature même du dialogue, trop campé sur leur position, justifiant tout et rien par des sophismes aussi grossiers que « la nature humaine » bourdonnait encore dans ses oreilles. À peine le bourdonnement s’estompait-il qu’il les entendait, ceux qui avaient oublié, citant à tue-tête des auteurs en faisant appel à la supposée supériorité intellectuelle de ces derniers.
Syphogrante se rappela alors d’une phrase qu’il avait lue dans un livre peu de temps auparavant, et qui lui mit un triste sourire en coin au visage :
« Les citations sont utiles dans les périodes d’ignorance ou de croyances obscurantistes »
– Guy Debord
« Nous n’avançons plus » se dit-il.
Il cherchait une solution à ce problème mais n’y arrivait pas. Le temps et l’énergie commençaient à manquer. La tristesse le gagnait.
La question à l’étude cette semaine à l’assemblée de Weltanshauung portait sur la pertinence de conserver la forêt des souvenirs. Plusieurs avaient fait remarquer que cette dernière servait comme une sorte d’échappatoire à la réalité pour plusieurs personnes. Cependant, d’autres avaient fait remarquer que cette dernière s’était imposée graduellement comme un lieu de rencontre et de création de « commun » et qu’ainsi, son rôle très pratique était à conserver. Les deux partis avaient raison et dans d’autres circonstances, Syphogrante aurait bouillonné de bonne volonté à l’idée de dialoguer au sujet d’une thématique aussi intéressante. Peser le pour et le contre. Dépolariser le débat en tant que collectivité et au sein d’un groupe où bien sûr tous pensent différemment, mais où un respect mutuel et une écoute empreinte de bonne volonté règnent. Cette démarche dans le but d’en arriver à un consensus aurait été en temps normal son activité favorite.
Mais pas cette fois.
L’entrée de Syphogrante à l’assemblé de Weltanshauung se fit totalement inaperçue tant la place était déjà bondée et animée. Il fût agréablement surpris de reconnaître le visage de certains et alla s’installer à leurs côtés. Soudain, le brouhaha cacophonique s’estompa et l’informalité qui régnait laissa place au déroulement plus formel de l’assemblée.
Une jeune personne se leva et proposa l’ouverture officielle de cette assemblée hebdomadaire de Weltanshauung, proposition qui ne vît pas d’opposition. Cette même personne suggéra ensuite à celles et ceux qui avaient préparé quelque chose allant dans le sens de la question à débattre aujourd’hui de se lever et de prendre les rênes de ce début d’assemblé. Voyant que personne ne prenait la parole, Syphogrante, prit son courage à deux mains et, après s’être dirigé vers le centre de la salle, entama sa lecture de la phrase sur laquelle ils allaient réfléchir cette semaine, avant de débuter les pourparlers.
« L’Histoire est une projection dans le passé, de l’avenir que s’est choisi l’homme »
– Heidegger