Il fait maintenant quelques jours que j’entends murmurer entre les murs la montée d’un mouvement qui voudrait faire effacer la forêt des souvenirs et recommencer l’histoire de la planète Terre à l’an 0. Selon les personnes favorables à cette coupe à blanc, le projet serait d’effacer le passé douloureux vécu par nos ancêtres pour recommencer une histoire de l’humanité joyeuse, du début à la fin. De l’autre côté, les personnes qui y sont défavorables défendent la mémoire de l’Histoire qui nous a mené au monde idéal dans lequel nous vivons.
Pour ma part, je ne sais pas trop où me positionner sur la question. Cependant, je crois fortement que notre Assemblée de Weltanschauung prendra une drôle de tournure dans les prochaines semaines. J’ai hâte d’entendre les discussions sur le sujet mais comme celle-ci s’ajourne lorsque le ton monte, j’ai bien hâte de voir combien de temps cela prendra puisque l’on parle vraisemblablement de points de vue différents qui feront lever les passions. J’espère vraiment que la méditation arrêtera toute sorte de dépassement hors contexte.
C’est demain que le tout commencera. Aujourd’hui, nous sommes dimanche et comme il n’y a pas d’assemblée durant la fin de semaine, c’est vendredi dernier que la discussion a été commandé. J’irai au marché général d’échanges pour aller chercher mes aliments pour la semaine et aussi pour entendre les échos de ce qui se trame pour demain. Il y a toujours cette espèce de gène politique que nos ancêtres nous ont laissé mais nous essayons de le tasser le plus possible.
Il y a 6 mois, nous avons décidé de laisser tomber le modèle des pilules puisque plusieurs tragédies de surdose avaient eu lieu et personne ne voulait risquer une vie de plus. L’Assemblée était alors restée assez calme malgré certaines petites grognes assez normales. La discussion sur la question avait duré 1 semaine. Comme je vous ai écrit, j’ai hâte de voir cela.
Au marché, on ne parle que très peu de la question, les gens s’aiment et malgré la discussion qui s’en vient, tout le monde sait que la fraternité de notre société restera tout de même intacte, comme après chaque Assemblée.
Ce matin, je me suis levé à cause d’un cauchemar assez épatant. J’ai rêvé que l’Assemblée allait créer des citions dans la société et que plus personne ne verra la société comme avant. Comme à l’habitude, tout se rassemblait à l’Agora de Weltanschauung où l’Assemblée avait toujours lieu. C’était plein. Très plein. L’Assemblée avait attiré bien du monde aujourd’hui. Ça allait commencer. Tout le monde s’est alors levé et en cœur, nous avons réfléchi pendant près de 15 minutes sur un autre passage de Proust. Toutes les phrases résonnaient dans ma tête. Mon stress diminuait et je me lassais enchanter par la réflexion que les phrases à sens multiples de Proust. Tout de suite après, les yeux de tous se sont rouverts. Nous allions commencer.
Tout le monde se rassoie. Sauf un. Syphogrante. C’est lui qui ira parler en premier. Il a commencé par nous expliquer son point de vue sur la question. Il pense que nous devrions garder la forêt intacte puisque c’est ce qui nous unit et qu’elle est le symbole le plus puissant de notre société. « Nos ancêtres nous parlaient des 7 merveilles du monde et bien moi je ne vous parle que d’une. Et cette merveille se retrouve à être le bassin intellectuel le plus important et l’outil d’unification face au passé le plus puissant qui n’aura jamais existé. » Tout le monde l’applaudit puis une deuxième personne se leva, Emmanuel.
Emmanuel nous amena ailleurs. Parlant de la souffrance que plusieurs peuvent ressentir en allant se recueillir dans la forêt. « Puis, voulant donc le bonheur profond et indéniable de tous, nous ne devrions jamais laisser une seule personne avoir mal. Tout le monde devrait sourire et avoir du plaisir. »
Plusieurs passèrent ensuite pour faire valoir leur point de vue. Mais c’est lorsque Guy est allé s’exprimer que l’Assemblée a été ajourné. Il a monté un peu le ton face aux individualistes voulant effacer toute la mémoire de l’humanité. Il avait raison. Mais de le dire était un peu trop intense pour la population.
Quatre jours de discussion ardue ont passé et à chaque fois c’était une nouvelle personne qui dépassait un peu les bornes. Nous faisons une trêve pour la fête du « Grand Boum ».
À chaque année nous célébrons cette fête du « Grand Boum » pour se rappeler les efforts que plusieurs ont mis pour rétablir un équilibre sur notre planète. C’était festif aujourd’hui puisque plusieurs se disaient que d’effacer la forêt des souvenirs serait donc d’effacer cette fête. Nous étions donc tous au marché général. Les grillades faisaient éveiller notre odorat. La musique jouait à fond. Tous dansaient. Tous buvaient. Tous s’aimaient. Cette fraternité, nous ne la perdrons jamais. Elle est beaucoup trop belle.
Vers 20h30, alors que plusieurs étaient déjà avancés dans l’alcool, d’énormes flammes ont retenti au loin. « C’est la forêt qui brûle ! » Bouche bée que la forêt brûle exactement au même moment que nos discussions commençaient à se faire entendre sur le sujet, je n’avais pas de mot. Je regardais la scène avec stupéfaction. J’ai pris ma copine par la main, une larme s’est versée sur ma joue, je l’ai embrassé et lui ai dit : « C’est peut-être pour le mieux. »
