TRANSITERRE

Institutions et réflexions

            Le bord de l’eau où Syphogrante s’apprêtait à terminer la lecture quelque peu aride d’un nouvel ouvrage commençait à s’emplir de personnes. Cet ouvrage, qu’il s’était procuré grâce à son père et datant d’avant la grande transition, avait la prétention d’être, selon ce qu’il en avait entendu, extrêmement long et complexe. Cependant, l’exercice de la lecture d’À la recherche du temps perdu avait pourtant semblé formatif et méditatif aux yeux de Syphogrante. Les longues phrases à la structure complexe avaient tout de suite entraîné le jeune homme dans un monde contemplatif et songeur. La démarche d’une œuvre voulant saisir la réalité dans toutes ses dimensions et ayant pour sujet sa propre rédaction avait quelque chose d’à la fois insaisissable et plaisant.

            Vacillant encore entre le réel et le pays de Proust, le jeune homme peina à sortir de sa rêvasserie. Écoutant d’une oreille distraite le clapotis de l’eau, Syphogrante se découvrit entouré de ses confrères et consœurs, eux aussi ayant choisi ce lieu paisible pour s’adonner à la lecture et à la réflexion, peu de temps avant l’assemblée de weltanschauung. Cet exercice réflexif était commun chez les gens de son âge, mais peu décidaient de continuer dans ce domaine, préférant maîtriser un aspect différent du savoir ou encore des savoir-faire plus pointus.

            Celles et ceux pour qui l’exercice philosophique et la théorisation de la réalité leur apparaissaient comme une vocation inéluctablement stimulante étaient rassemblés en ce lieu, non loin de la Citadelle. Cette assemblée hebdomadaire de philosophie sociale, sorte d’instance décisionnelle, s’occupait de l’étude au sens fort ainsi que de la création intellectuelle. Les discussions et débats en cette enceinte étaient guidés par des anciens, très respectés, qui n’intervenaient qu’en cas de cabotinages. Le fruit des pourparlers étaient ensuite soumis à la majorité au cours des nombreuses assemblées décisionnelles. Ces soumissions menaient ensuite très souvent à une unification de théorie et de pratique en une transformation subséquente de la société, c’est-à-dire à agir.

            Dans les assemblées de weltanschauung, plusieurs dispositions avaient été prises afin d’assurer une certaine fluidité de la dialectique. Il était coutume de s’adonner à une séance de méditation, rendant indéniablement les assemblées plus calmes. Il était aussi norme de ne pas discuter d’une proposition le jour même. Ce faisant, personne n’était exposé à débiter étourdiment les premières choses qui lui venaient à l’esprit. De plus, s’il fallait tout de même que les esprits s’échauffent, chose extrêmement rare, les séances étaient ajournées.

            Ce recueillement sur l’œuvre principale de Proust suscita chez Syphogrante le désir impérieux de casser la croute avant le début de l’assemblée de weltanschauung, qui allait commencer incessamment. Cependant, il comprit bien assez vite qu’il n’aurait pas le temps, faute de quoi il ne pourrait méditer avant la séance. Le jeune homme, prit ainsi son mal (ou sa faim) en patience, et, pour les bienfaits de la discussion, se mit à méditer.

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2 Comments

  1. Je m’excuse, je comprends mal. Est ce que cette institution est que pour philosopher et debatre (ve qui me semble très plaisant) ou ceci fait aussi parti du corps politique de ta version Utopique? Par contre, j’aime vraiment ton style d’écriture et ta manière de présenter ce monde.

    1. Tu as bien raison, ladite assemblé dont il est question dans mon texte nécessiterait un titre afin de ne pas la méprendre avec les assemblés décisionnelles et politiques. C’est effectivement une institution pour philosopher et débattre.

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