La rue était bruyante. Par delà la façade de l’immeuble, des bambins couraient et se disputaient une poupée chétive, de cire et de son. Ils étaient attroupés autour du jardin de ville, où certains cueillaient des tomates et des kiwis. Chacun avait sa place dans ce petit monde auto-suffisant. Les jeunes érudits pouvaient étudier et finir leur scolarité pendant que les adultes exerçaient chacun un métier qu’ils affectionnaient. Cet univers était déjà rôdé, en mode pilote automatique. Au loin, le soleil se couchait derrière la montagne. Le paysage parfait, donnant l’impression d’un moment, d’une vie accomplie.
J’essayais de me concentrer sur la lecture des mémentos que j’avais empruntés au Collectio Centrum Memorias. Ces mémentos étaient une sorte d’échappatoire. J’habitais derrière les jardins. Alors que les cris fusaient de partout, l’excitation étant à son comble, j’essayais tant bien que mal de me concentrer. Mes yeux rivés sur mon écran jaune, je m’imaginais le bruit de la mer, calme, dangereuse, qui clapotait doucement contre la baie. Je discernais une odeur saline au loin. J’avais choisi la cassette numéro 23. Ma préférée. Mon voyage à Okeanos. J’oublia Utotransit et je plongea, en une seconde, dans cet univers qui me manquait cruellement.
- Et dire que cette ville aussi a changé.
- On a tous changé avec la Grande Transition. Même moi. Les villes et les humains ont évolués tu sais.
- Foutaises, sornettes et mensonges. Tu sais aussi bien que moi que ce n’est pas un gros boum qui peux faire changer nos mentalités. Ce n’est qu’une façade. Manger de la salade dans une communauté sans technologie ne fait pas de toi un meilleur humain.
- Ce n’est pas vrai. Ils sont tous plus inclusifs. Ils s’entraident les uns les autres, sans attendre de compensations, quelle quelle soit.
- Ils ? Tu ne t’inclus pas dans ce groupe ?
- Pas encore. Je n’ai pas fait mes deux ans de service communautaire obligatoire.
- Communautaire obligatoire. Quelle société parfaite.
- Arrête ton cynisme. Tu sais très bien ce que je veux dire.
- Lire ici <<Je me fais exploiter par une pseudo-société utopique qui m’oblige à me consacrer corps et âme à un métier que je n’aime pas, pour une société qui me tuera à mes soixante coups de cloche. >>
- Ne dis pas n’importe quoi. Nous avons voté ce mode de vie. La démocratie a parlé.
- Et tu étais là le jour du vote ?
- Non je n’ai pas le niveau d’éducation requis pour être présent.
- Donc le collectif te considère trop stupide pour décider de ton propre sort ?
Je pris rapidement ma dernière pilule de CK-40. Saleté de conscience.