TRANSITERRE

Interrogation intempestive

Dix-sept trente-sixièmes.

Aujourd’hui, la curiosité m’a envahi et je ne pus la contenir. Dans un élan, à tout le moins chevrotant, je galopai vers cette fatidique forêt des souvenirs. C’est en arrivant au vestibule de ces bois que j’aperçus ce qui m’apparut comme une serre, vidée de son contenu. Sans aucune trace de dédain, j’entrai avec émerveillement dans le collectio centrum memorias, où je fus accueilli par un être robotique.

Il me tendit un cachet que j’occultai longuement. Les Transiterriens, il est important de le souligner, n’ont pas le même émerveillement que moi en ce qui a trait aux processus technologiques, qu’ils côtoient sur une base quotidienne. Sous cette optique, je m’attendais à déclencher une certaine incompréhension chez le robot anthropomorphe, mais observa brièvement mon attention portée sur le comprimé, puis en fit fi.

Le Predao K-amen me demanda si je souhaitais offrir mon savoir ou plutôt jouir de celui des anciens. Ce à quoi je répondis avec hâte que je voulais consulter les vécus passés. J’avalai mon granulé et m’installai sur un fauteuil. On me tendit un casque d’or pour couvrir le mien et mon expérience commença.

Je peux faire part des pensées qui se sont immiscées parmi les miennes. J’ai vu ces idées en banc bisser un peu partout dans mon quotidien depuis ma visite. J’avoue qu’un flou perçant m’empêche de décrire fidèlement la nature du souvenir, ou ne serait-ce que son son. Toutefois, je me souviens avoir entendu un poème qui m’a profondément chamboulé.

Parsemé d’antanaclases, le propos semblait se transformer à mesure que je l’observais. Une fois que sa mue m’eut ému, je sentis soudainement un profond conflit interne et j’y consentis. J’avais résolu sa poésie, ce qui me donnait accès à toute la subjectivité de son témoignage. Différents différends habitaient la personne dont j’observais les souvenirs. La douceur presque tactile de son poème que ma peau aime…

Il m’offrit quelques autres poésies, puis s’en allait repartir pour son périple vers l’enfer. Sauf qu’au dernier moment, il me demanda de le libérer en partageant moi-même ses vers à toutes les oreilles qui y sont réceptives. Comprenant ce qu’impliquait sa requête, je m’exécutai et l’exécutai.

Profondément animé par l’expérience que je venais tout juste de vivre, j’enlevai le casque et me relevai du fauteuil. Je me suis rendu compte que depuis mon arrivée, je n’avais pas vécu les sentiments reliés à la souffrance affective, qui m’avaient pourtant mené jusqu’ici. Le robot m’a proposé de recommencer l’expérience avec un nouveau souvenir.

***

Le second essai fut presque l’oxymore du premier, à tout le moins, au niveau du personnage étudié. Je me suis retrouvé face à un autodafé des ouvrages de Masahiro Mori. L’homme que j’observais semblait troublant de satisfaction face à cette destruction. Il possédait un bras artificiel qu’il occupait avec aise. Il faisait partie d’un mouvement de désobéissance civile qui cherchait à déloger un gouvernement favorable à la mise en place de statuts de citoyens pour les robots.

Ses comparses chantaient en chœur :

« Fuck la vallée dérangeante ! Si on n’aime pas les robots, c’est à cause de leur attitude condescendante ! »

Dans mon effort de sympathie, j’ai perçu toute la crainte d’être remplacé qui hantait chacune de ces personnes. Les effluves du feu réchauffaient leurs âmes refroidies par l’incertitude. J’enlevai le casque une fois de plus et remerciai le robot.

Je repartis de la forêt des souvenirs avec des visions du monde qui m’accompagnent et ne me laissent plus. À l’avenir, je tenterai de faire plus attention à ce que vivent les Transiterriens que je croise. Je me découvre beaucoup plus attentif aux humeurs des autres. À chaque fois que quelqu’un se confie à moi, l’héritage du poète et du militant resurgit en moi. C’est comme s’il s’activait de façon plus intense lorsque j’établis des contacts avec des personnes. Puisse-t-il me rendre plus vertueux.

Depuis cette visite fatidique, un questionnement persiste dans mon esprit :

Est-ce que le post-humanisme devrait être évité au profit de robots qui assistent les humains dans leurs lacunes ?

Raw/Don.

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