Quarante-deux quarante-deuxièmes.
Ce matin, je fus pris d’un dynamisme qui me surprit. La veille, inhibé par le constat que je n’eusse jamais ressenti une béatitude de cette amplitude, je rencontrai une individu fort aimable qui, bien que son trac lui causa un certain tracas, me tendit un tract. Dès lors que j’en eus pris acte, elle quitta pour poursuivre son chemin dans la nuit opaque qui m’inspira toutes sortes d’inspirations élégiaques. Je ne pus qu’observer passivement mes pensées s’estomper.
Sur le dépliant étaient annoncés les détails d’une célébration festive qui serait tenue le lendemain. La soirée allait avoir lieu dans la forêt des souvenirs et j’étais convié à y assister. Elle portait le nom de Coït envoûtant, gargantuesquement émoustillant et platonique. Étant un immense adepte de superlatifs inutilement complexes, j’esquissai un sourire à la vue de ce titre qui manque absurdement de concision.
J’ai longuement considéré l’éventualité d’y assister. Toutefois, mon étude de Transiterre tirait à sa fin et mon moral nouvellement blindé de toutes ces expériences captivantes me permettait d’envisager l’éventualité d’un retour imminent à mon paysage natal. D’ores et déjà, je pouvais sentir les fragrances familières que j’allais retrouver.
Ma nuit fut empreinte d’un mélange symbiotique d’insomnie et de fabulations. D’où mon émerveillement de ressentir tant d’énergie m’habiter lorsque je quittai ma tentative de sommeil. J’avais maintenant envie d’aller à cette fête, sans trop savoir pourquoi. Il est vrai qu’un rituel de la sorte démontre une certaine richesse culturelle de la part d’une civilisation, mais je ne portais plus les œillères de l’anthropologue. Transiterre m’avait changé encore plus aisément qu’elle m’eut fait oublier mes soucis. Il est assez absurde de se retrouver dans un état de peine d’amour, alors la peine d’amitié n’est même pas rationnelle. C’est néanmoins celle-ci qui m’a poussé à l’exil. J’ai trouvé, chez les Transiterriens, une façon d’outrepasser cette blessure qui, bien qu’évidemment moins souffrante qu’une blessure amoureuse, me hantait par son caractère inattendu et persistant.
Dans ce tumulte sentimental, je fus pris d’une certaine hâte envers une célébration dont je ne connaissais même pas la nature. Je décidai tout de même de ne pas m’informer sur celle-ci, afin de préserver la surprise.
Lorsque j’arrivai au pourtour de la forêt, j’entrevis un attroupement important. Les fêtards m’ont fait comprendre qu’il fallait me dépêcher. J’eus la stupeur de retrouver la messagère qui m’avait donné le dépliant d’invitation. Je lui demandai quel était le programme de la soirée. Elle me répondit que les organisateurs avaient été plutôt évasifs. Ma curiosité ne fit qu’augmenter. Elle s’estompa légèrement lorsque je vis une lueur rougeâtre survolant la cime des arbres.
Puis, l’incompréhension.
La forêt s’inhumait sous mes yeux.
Leurs visages illuminés par la soudaine incandescence, les Transiterriens continuaient à festoyer. On m’expliqua que ce bûcher mémoriel n’avait rien d’une tragédie : il signifiait la fin d’un cycle de la Grande Transition et les balbutiements d’un autre.
S’en suivit une averse foudroyante de souvenirs et d’histoires qui happa les spectateurs. Une pluie torrentielle de vécus, éparses, tantôt réconfortant, tantôt apeurant. Tous les témoignages, toutes les subjectivités, tous me transperçaient avec véhémence.
Je sus, dans les instants qui suivirent l’euphorisante précipitation, que le nouveau cycle nécessitait un retour à la transmission par l’oralité, pour pallier au manque de dialogue qui s’était produit dans quelques régions de Transiterre. J’eus moi-même envie de propager l’héritage qui venait tout juste de se loger dans mon esprit.
Je décidai de partir, mais je retrouvai après quelques pas la farouche individu. S’en suivit un étrange dialogue au cours duquel elle me parla du monde étrange d’où elle provenait. Un paradis de la procrastination, mais aussi de l’ouverture sur le monde. Dans sa présentation contradictoire de vertus et de vices, je me suis surpris à écouter avec une attention inaliénable.
L’avantage des peines d’amitié, c’est qu’elles perdent de l’importance lorsque l’on découvre un nouveau milieu. On passe tant de temps à découvrir ou à se redécouvrir qu’on en oublie presque les tracas au profit d’un tact qui ne permet plus au trac de s’immiscer. Les Transiterriens m’auront donc appris à bien faire le deuil de l’amitié pour mieux en commencer d’autres.
Puissent-ils recevoir ma gratitude infinie.
Raw/Don.