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Prémisse d’une fève en ventre

Depuis le trou où j’habite, je sens la fève en mon ventre s’affranchir de ma chair. J’y suis confortable, y a-t-il plus vivant que de se regarder périr? Ma décomposition ne m’embête pas, je la trouve plutôt belle et nécessaire: pour une fois j’ai l’impression de participer au mutualisme biologique plutôt que d’en exploiter les bienfaits. Je n’y suis pas seul.e, j’ai une colocataire, une petite mésange à tête noire, avec laquelle j’aime bien me lover dans le vide de ses os. Par ses creux, nous nous réapproprions le ciel et je me regarde d’en haut. Une petite pousse, toute verte et fragile, un peu excentrique par sa mauvaise posture. C’est l’Arbre qui m’aiguille dans l’apprentissage de mes bourgeons, qui m’enseigne à résorber en goulées gourmandes le Soleil et à protéger ma chlorophylle. 

Ma fosse m’apprend toutes autres choses; la terre me serre si tendrement que je ne reconnais plus les frontières de mon corps, ni pourquoi j’y ai autrefois accordé tant d’importance. Comment ais-je pu un jour pensé que mon identité s’arrêtait à la limite de l’Autre? Je ne crois plus aux limites, ni même celle de la vie et de la mort, car l’une marche vers l’autre et cette dernière est l’introduction de la première. Mourir me va et vivre aussi, c’est pourquoi je fais les deux en même temps. Ce n’était pas un grand choc, de mourir je veux dire, car je m’y suis préparé.e toute ma vie, à chaque respiration son expiration et il en va ainsi du cycle plus large de la vitalité. Habiter dans la terre me fait davantage de bien que mon premier quotidien, là où les humain.es semblent endeuillé.es de leur propre naissance. L’idée n’est pas de s’apitoyer de sa fatalité et de la bannir du dialogue courant, mais plutôt de l’incorporer dans son quotidien, comme un collier de perle passé de génération en génération et que l’on se doit de revêtir dans les grandes occasions.

Lors de mon premier jour en fosse, j’ai posé ma tête sur un noyau de pêche desséché. Nous avons longtemps réfléchi ensemble de ma relation aux organismes vivants et il m’a promis que, si un jour il devait se retrouver par dessus terre, il s’excuserait pour moi auprès des fourmis, des renards et des autres êtres que j’ai pu blesser. Il m’a fallu la tourbe pour saisir mon insignifiance, pour saisir les dommages du spécisme et des conséquences de cette hiérarchisation aberrante. Je ne suis ni la matérialisation du sacré, ni de la gloire, ni d’une utilité au service du progrès. Je suis et c’est assez. 

Enfin je pousse dans le bon sens. Plus tard j’abriterai fourmis, ombre et lichen, et peut-être arriverai-je à m’émanciper de la culpabilité d’avoir participé à la destruction du chez-soi de plusieurs espèces.

Et moi je resterai là, tantôt dans les interstices des os de ma mésange, tantôt dans les strates de crasse de l’Humanité. 

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